Voici un article coup de gueule concernant les relations entre les traducteurs indépendants et certaines pratiques d’agences de traduction. Le secteur de la traduction est en pleine expansion, mais comme il est soumis à la loi de l’offre et de la demande, certains types de traduction dans certaines paires de langues voient leurs tarifs diminuer. Dans ce contexte, l’apparition de nouvelles pratiques professionnelles entre les traducteurs et certains de leurs donneurs d’ordre n’est pas sans faire grincer des dents. Explications…
Pratiques entre agences et traducteurs indépendants.
Le travail entre professionnels est régi par un certain nombre de formalités administratives et le secteur de la traduction n’y échappe pas. Quand un traducteur travaille pour une agence de traduction, le plus souvent, cette dernière émet un bon de commande afin que le travail du traducteur puisse être identifié par la personne en charge de la comptabilité et que le traducteur puisse être payé. Généralement, comme son nom l’indique, le bon de commande est une commande, donc il est émis, avant que le travail soit réalisé… mais pas toujours, comme nous allons le voir.
Contexte : les outils CAT et le tarif au mot dégressif
Ici, nous entrons dans la zone quantique concernant la manière dont la rémunération des traducteurs peut se calculer, sachant que cette méthode commune n’est pas applicable ni appliquée partout.
Souvent, pour des textes techniques, la rémunération du traducteur est calculée en fonction du nombre de mots source (c’est-à-dire du nombre de mots dans le texte d’origine) à traduire. Les outils d’aide à la traduction (CAT ou Computer Assisted Translation) sont de plus en plus demandés sur les textes techniques présentant des répétitions et les agences de traduction demandent parfois au traducteur de proposer un tarif dégressif sur les répétitions. Pour faire simple, les outils CAT sont des logiciels qui segmentent les textes, les gardent en mémoire avec leur équivalent traduit, de telle manière à ce que, quand le traducteur arrive sur un segment déjà traduit ou partiellement traduit, le logiciel propose une suggestion de traduction. Pour le traducteur qui travaille sur ce type de traduction, les outils CAT présentent un gain de temps certain, surtout quand le traducteur en connait les subtilités. Parfois, les agences, qui possèdent ces mêmes outils, analysent les textes à traduire en amont et demandent une ristourne sur les répétitions. S’il possède un outil CAT, le traducteur peut accepter (ou pas) d’effectuer une telle ristourne. Il est ensuite libre de faire comme bon lui semble pour traduire son texte. Autrement dit, s’il le souhaite et si son client est d’accord, il peut également s’aider de logiciels de traduction automatique. Il faut savoir en effet que la plupart des outils CAT possèdent aussi leur propre module de traduction automatique (TA), en plus de la mémoire de traduction créée par le logiciel et que le traducteur construit au fil du temps. Certains modules de traduction automatique envoient cependant les données de manière non sécurisée et il est très important de savoir où l’on met les pieds si l’on souhaite utiliser un tel outil.
Le traducteur, l’agence, l’outil CAT, la TA et le bon de commande…
Pour en revenir aux agences de traduction et aux bons de commande, il est donc d’usage pour une agence qui travaille avec un traducteur indépendant d’émettre un bon de commande (au moins un numéro de commande) qui résume l’accord tarifaire, la date de livraison et les conditions de paiement. Le traducteur réalise la traduction, la livre, émet une facture suivant le bon de commande, facture qui sera ensuite payée selon les modalités indiquées sur le bon de commande. Si le traducteur utilise la traduction automatique, car il préfère éditer des phrases plutôt que de les taper et si son client est d’accord, libre à lui de le faire. Il devra éditer (c’est-à-dire corriger) les suggestions de la TA pour les adapter au texte source et au contexte. Voilà donc pour le contexte de travail, quand on utilise un outil CAT.
Nouvelle pratique d’agence
Mais, il y peu, une nouvelle pratique que je ne connaissais pas est apparue. Je l’ai découverte la semaine dernière, à l’occasion d’un webinaire gratuit sur l’utilisation d’un logiciel de traduction en ligne que j’utilise parfois lorsqu’une agence me demande de réviser une traduction. Avec ce logiciel, il est possible de travailler directement sur la plateforme de l’agence. Ce webinaire était proposé par une agence à la newsletter de laquelle je suis abonnée. Je me suis dit que ce pourrait être une bonne occasion pour moi d’en apprendre plus sur l’utilisation dudit logiciel, sachant que le webinaire portait aussi sur l’utilisation de leur portail (ce qui ne m’intéressait pas à priori, puisque je ne travaille pas avec eux). À la fin du webinaire, il était question de bon de commande et de facturation. J’écoutais d’une oreille distraite quand, surprise, l’agence annonce que le bon de commande est formulé à postériori, après que le décompte de mots ait été fait automatiquement, en comptant les segments fournis par traduction automatique (à un tarif bien entendu dégressif, en fonction de la concordance). En d’autres termes, le traducteur sous-traitant, en utilisant la traduction automatique (qui m’a semblé obligatoire dans ce contexte), voit sa rémunération diminuée en fonction des concordances plus ou moins partielles fournies par la TA ! Car bien entendu, le système calcule automatiquement le nombre concordances de traduction automatique, en plus des répétitions et génère le nombre de mots à payer plein tarif ou à tarif réduit, sans la moindre intervention humaine. Dans ces conditions, que reste-t-il comme manœuvre au traducteur pour gagner correctement sa vie ? Il ne faut pas perdre de vue que l’agence fait aussi un bénéfice conséquent en revendant cette traduction au client final. Si tout est fait automatiquement, l’agence a moins de charges salariales et réalise donc des bénéfices plus importants, le tout au détriment du traducteur indépendant ! Et l’on ne parlera pas ici du fait que certaines agences imposent déjà leur grille tarifaire à leurs sous-traitants…
Conclusion
Puisque ce genre de pratique existe et que les agences ne peuvent exister sans leurs sous-traitants, le mieux est de les fuir si l’on veut une rémunération correcte pour son travail. Heureusement, toutes les agences n’agissent pas de la sorte et certaines entretiennent de très bonnes relations avec leurs traducteurs. Donc, quand le traducteur envisage de travailler avec une nouvelle agence, il vaut mieux ne pas foncer tête baissée et vérifier les conditions de sous-traitance. L’idéal serait de trouver également des clients directs, sans passer par des agences, pour équilibrer son portefeuille de clients. Pour cela, il faut prospecter et sortir de sa caverne de traducteur… pas toujours facile pour les ursidés que nous sommes…